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BlackRock à l’Élysée : légion d’honneur pour les voleurs de nos retraites

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BlackRock.

Ce nom rocailleux résonne depuis quelques semaines dans les médias, associé aux commentaires sur la réforme des retraites en cours.

Tant et si bien, que le groupe, d’ordinaire discret, s’est récemment fendu d’une déclaration pour justifier ses activités : « En aucune manière, nous n’avons cherché à exercer une influence sur la réforme du système de retraite par répartition en cours auprès des pouvoirs publics ou de tout autre acteur du secteur. […] Les incompréhensions sur notre métier qui ont circulé au cours des derniers jours plaident pour que nous poursuivions la pédagogie à propos des activités de gestionnaire d’actifs ».

BlackRock à l’Elysée

Ils sont un peu gênés, et pour cause. BlackRock, c’est l’éléphant au milieu de la pièce comme diraient les américains.

On ne devrait voir que lui. Premier gestionnaire d’actifs financiers au monde, après seulement 30 ans d’existence. Le groupe gère aujourd’hui plus de 6000 milliards de dollars américains, soit plus de deux fois le PIB français.

On ne voit d’ailleurs que ça, les parts de BlackRock inc. dans les entreprises américaines : Google, Facebook, Apple, Amazon, Microsoft, etc. Il possède plus de parts d’ailleurs que les fondateurs mêmes de ces entreprises.

Et en France aussi. BlackRock possède plus de 5% des actions de Total, Vinci, Sanofi, La Société Générale. En tout, 18 entreprises du CAC40 dont il est un des principaux actionnaires.

Et aujourd’hui, en plein combat pour nos retraites, on s’aperçoit que l’éléphant a pris ses aises dans le magasin de porcelaine et qu’il est en train de tout casser.

On se rend compte que BlackRock ne se contente pas seulement d’acheter – et de piller – nos entreprises. Sa puissance financière en fait le premier conseiller des Etats qui élaborent ainsi des réformes à sa mesure.

Son influence fait l’objet de missions officielles, menées auprès des banques centrales des Pays-Bas, de l’Espagne, de l’Irlande, de Chypre ou de la Grèce, apeurées depuis la crise de 2008, et dument facturées. La Banque centrale européenne (BCE) a ainsi payé 8 millions d’euro pour que BlackRock teste sa solidité et prodigue ses précieux conseils.

L’emprise institutionnelle de BlackRock se mesure aussi dans l’hexagone où le fonds de gestion est de toutes les initiatives gouvernementales destinées aux investisseurs sous le mandat Macron. Il faut dire que Larry Fink, créateur et PDG du groupe, avait tout de suite vu en lui, le réformateur que BlackRock attendait. Après avoir été reçu une première fois à l’Elysée dès juin 2017, il déclarait, en pleine lune de miel : « Nous verrons si les réformes se font. Nous pensons que cette présidence est positive pour la France et surtout pour l’Europe, qui sera plus forte, grâce à un axe franco-allemand plus solide. Si Macron fait les réformes dont il a parlé pendant la campagne, s’il a une forte relation avec la chancelière et peut la convaincre de dépenser une partie de son excédent, cela produira un très bon résultat ».

En octobre 2017, la relation était bien installée. C’est donc BlackRock qui recevait à l’Elysée. Larry Fink privatisait ainsi le salon Murat une journée entière pour faire défiler devant lui et ses co-dirigeants les ministres – Bruno Le Maire, Elisabeth Borne, Benjamin Griveaux, Muriel Pénicaud – qui exposeront, tremblotants, leurs projets de réforme pour le pays. Ils ne sont pas ingrats cela dit, les grands chefs de BlackRock, et savent défendre l’élu de leur cœur.

Philipp Hildebrand par exemple. Vice-président mondial de BlackRock, il est aussi l’ancien président de la banque centrale suisse (de 2010 à 2012).

Commentateur averti des élections, il en faisait déjà son chouchou en avril 2017, à un mois du scrutin présidentiel. « Macron est quelqu’un d’extrêmement courageux, ça on le voit, il faut du courage pour essayer ce qu’il essaye de faire. Ensuite il est tout à fait conscient que la France a besoin de réformes, des réformes économiques, notamment autour du marché du travail, ça c’est évident. Il a même essayé dans le gouvernement de passer des réformes dans la loi travail [la loi El Khomri de 2016]. Je dirais que c’est un réformateur extrêmement courageux. Je dirais aussi qu’il a tout à fait la perspective juste en ce qui concerne l’Europe. » (Pardonnez-moi, émission de la Radio Télévision Suisse, dimanche 02 avril 2017).

Le présentateur interrogeait ensuite, plein d’espoir : « Cette manière qu’a Emmanuel Macron d’assumer d’avoir été banquier, d’avoir une relation avec le monde de l’argent, est-ce que ça peut réconcilier les français avec ça, avec le monde de l’argent, avec l’économie ? ». Et Philipp Hildebrand répondait par l’affirmative, confiant dans les capacités de son poulain à répondre aux attentes des français qui estiment « que ça ne peut pas continuer comme ça ». Juste après, il se défendra même dans un sourire d’avoir dit que la France avait « une économie presque soviétisée », soulignant ainsi la retenue et la modération de ses propos, et citant Macron, jamais décevant, qui aurait quant à lui déclaré « que la France c’est un peu Cuba mais sans le soleil ».

En octobre 2017, il faisait partie du jury des auditions avec petits fours organisées au salon Murat de l’Elysée. Et un an plus tard, en octobre 2018, le même Philipp Hildebrand publiait une tribune dans le Financial Times pour défendre les courageuses réformes de Macron sur le marché du travail et les baisses d’impôts.

Bref, le président français était officiellement adoubé, après avoir gagné ces batailles sociales.

Le pactole des retraites

Mais si la philosophie du gouvernement Macron était la bonne, pour gagner sa guerre, il fallait les retraites à BlackRock. Cœur de son action aux Etats-Unis, le groupe gère les compléments de retraite de nombre d’américains via les ETF, son produit phare. Et le gain potentiel est énorme en France, seul pays où les retraites sont gérées via un système de répartition, et où l’épargne-retraite peut constituer un nouveau produit financier juteux.

La loi Pacte, votée en avril 2019, simplifiait, entre autres mesures pour « la croissance et la transformation des entreprises », le fonctionnement de l’épargne-retraite. Cette loi était immédiatement saluée dans une note produite par BlackRock France et sobrement intitulée : « Loi Pacte, le bon plan retraite ». Le nerf de la guerre y était franchement désigné : « En ce qui concerne le troisième pilier, des réformes ont également été mises en place au cours des 15 dernières années, à commencer par la création dès 2003, des régimes d’épargne collectifs (PERCO) et individuels (PERP), favorisant la constitution d’une épargne individuelle pouvant être utilisée pour augmenter les revenus pendant la retraite. Fin 2017, seuls 130 milliards d’euros avaient été collectés dans ces produits, ce qui est décevant par rapport à l’épargne déposée en liquidités (1.500 milliards d’euros), les produits d’assurance-vie en euros (1.600 milliards d’euros) ou les investissements directs/indirects en actifs non financiers (plus de 7.600 milliards d’euros) »

Mais il fallait parachever l’œuvre. Avec de discrètes actions de lobbying, le groupe a donc indiqué la marche à suivre au gouvernement. Comme le petit poucet, il a semé ses cailloux sur le chemin de la capitalisation, déjà suivi par tant d’autres États.

Pour y arriver, BlackRock a placé ses hommes aux bons endroits.

Membre du Groupe des Trente, un think tank économique super-influent établi à Washington, Philipp Hildebrand appartient à son groupe de travail sur l’avenir des retraites.

Jean-François Cirelli, le PDG de BlackRock France Belgique et Luxembourg, est quant à lui membre de CAP22, le comité mandaté par Edouard Philippe pour faire des propositions de réformes au gouvernement.

Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Cirelli court les plateaux pour défendre la réforme des retraites du gouvernement, et use et abuse de tautologies pour vendre ses produits : « Je crois que c’est l’intérêt de ce nouveau texte du gouvernement, de la loi, que de permettre aux français, enfin, de s’approprier l’épargne retraite. Et nous BlackRock, qui avons cette expérience, nous voulons mettre cette expérience au service de cette nouvelle épargne retraite. […] Et l’avantage de cette épargne retraite c’est que c’est bon pour les français et ce sera bon pour l’économie puisqu’on mettra plus de produits pour le développement de l’économie française. […] BlackRock veut être beaucoup plus présent dans ce beau pays et nous avons de grandes ambitions pour BlackRock en France » (sur FranceinfoTV, décembre 2019). Bref, si c’est bon pour BlackRock, c’est bon pour vous.

Pour ses bons et loyaux services, Jean-François Cirelli a été promu, ce 1er janvier, officier de la légion d’honneur par le Premier ministre.

Une façon de placer 2020 sous les meilleurs auspices pour ceux qui se rêvent en fossoyeurs de nos retraites.

Autant d’arrogance laisse penser qu’ils entrevoient la victoire, qu’ils la sentent déjà acquise après les vœux conquérants et aveuglés du président Macron hier soir.

Alors, ne leur laissons pas gagner la guerre. Dénonçons sans relâche la présence de ce rocher dans la chaussure du gouvernement. Retrouvons-nous dans la rue le 9 janvier, et soutenons celles et ceux qui luttent pour notre avenir.

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L’Avenir en commun, réponse concrète aux enjeux de notre époque

Aujourd’hui paraît en librairie l’Avenir en Commun, le programme de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2022. Ce programme est le résultat d’un travail immense.

Si cette version de L’Avenir en commun s’inscrit dans la continuité du programme de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection de 2017, elle a été améliorée, précisée par un large travail d’auditions : associations, collectifs, syndicats, mouvements sociaux, citoyens engagés.

C’est ce travail qui nous permet aujourd’hui de présenter une version actualisée, qui se distingue notamment sur deux points. D’abord, l’Avenir en commun est le seul programme à apporter des réponses concrètes à l’ensemble des préoccupations des Français : démocratie, pouvoir d’achat, bifurcation écologique, lutte contre les discriminations. Ensuite, sur tous ces sujets, il contient des mesures uniques, qui ne sont présentes chez aucun autre candidat.

Des mesures uniques

Concernant l’enjeu démocratique, Jean-Luc Mélenchon propose une mesure phare : passer à la 6e République par la convocation d’une Assemblée Constituante. Plusieurs candidats proposent des réformes de la Ve République, comme Anne Hidalgo ou Marine Le Pen. De leur côté, Fabien Roussel et Arnaud Montebourg envisagent le passage à une VIe République, mais ils ne proposent pas au peuple d’écrire la Constitution lui-même. C’est pourtant la condition nécessaire pour sortir de l’impasse démocratique dans laquelle nous sommes.

De la même façon, si l’écologie est dans tous les programmes, L’Avenir en Commun est le seul à proposer d’inscrire dans la Constitution le principe de la « règle verte », selon laquelle on ne prélève pas davantage à la nature que ce qu’elle est en état de reconstituer.

Dans notre programme, l’écologie n’est pas un vain mot : nous expliquons comment nous allons mettre en place la planification écologique pour répondre à ce défi majeur de notre temps. Ainsi, nous lancerons un plan massif de 200 milliards d’euros d’investissements écologiquement et socialement utiles. Nous sommes les seuls à proposer ces investissements indispensables : pour Jadot, on trouve des chiffres variables selon les sources mais toujours inférieurs ; Roussel, lui, propose seulement 140 milliards.

Sur les enjeux sociaux également, l’Avenir en Commun est le plus complet et comporte de nombreuses propositions originales. Par exemple la création d’une garantie d’emploi : tout chômeur de longue durée pourra se voir proposer d’être embauché au moins au SMIC revalorisé dans un secteur d’urgence.

Ces réponses concrètes, nous les appliquerons dès notre arrivée au pouvoir. Nous publierons, dans les semaines à venir, des plans présentant la façon dont nous allons les mettre en place.

D’ici là, vous pouvez vous procurer notre programme l’Avenir en commun en librairie pour 3 euros.

Face à Mélenchon, Zemmour est le candidat du système

Ce soir, sur BFM TV, face au discours argumenté de Jean-Luc Mélenchon sur les questions sociales, Eric Zemmour n’a pu que botter en touche. Pas un hasard : si Eric Zemmour aime se présenter comme anti-système, comme le défenseur du peuple, il est en réalité le candidat du système, qui défend les intérêts de ce dernier. Il n’est qu’un leurre pour sauver le système en opposant les Français sur la base de leurs confessions présumées.

On le savait depuis longtemps : la séquence médiatique à laquelle nous avons assisté ces deux dernières semaines, mettant en avant Éric Zemmour comme Emmanuel Macron il y a 5 ans, l’a démontré. Le débat de ce soir l’a confirmé.

Ce système, Éric Zemmour en adopte le vocabulaire, quand il parle de « charges sociales » pour parler des cotisations sociales qui fondent notre système de solidarité. Son discours sur n’a rien à envier à celui du patronat, notamment lorsqu’il parle d’un « Etat-providence devenu obèse ». Son modèle ? Celui des pays ultralibéraux, comme les Etats-Unis : où la charge des assurances privées repose sur les familles, et où les plus modestes qui ne peuvent se les payer sont laissés pour compte.

Pour justifier son argumentaire, Eric Zemmour n’hésite pas à reprendre les arguments économiques de ceux qui promeuvent la rigueur : nous ne sommes plus dans les trente glorieuses et n’aurions aujourd’hui d’autre choix que de se serrer la ceinture. A cet argument, Jean-Luc Mélenchon oppose des chiffres précis sur l’augmentation de la productivité : nous avons les moyens de financer la solidarité. Cette hausse de la productivité doit nous permettre de partager le temps de travail, afin de vivre et de travailler mieux.

Mais Eric Zemmour n’adopte pas seulement les discours du système que le social. Il adopte également son point de vue sur l’écologie. Dans un discours aux relents climatosceptiques, Eric Zemmour prétend qu’il « existe des débats entre scientifiques sur le réchauffement climatique ». Le climatoscepticisme, cheval de bataille de l’extrême droite partout dans le monde, fut d’abord porté par les lobbies de l’énergie fossile, pour protéger leur commerce. Il l’affirme, le climat n’est pas sa priorité, sa priorité c’est l’immigration. Eric Zemmour le reconnaît lui-même : si le but de Jean-Luc Mélenchon est de sauver la planète, Eric Zemmour ne pense qu’à « sauver la France »… comme si l’un était possible sans l’autre !

Sur la démocratie, Éric Zemmour défend la Ve République et la monarchie républicaine, dans la plus pure tradition d’une extrême-droite hostile à la souveraineté du peuple, rêvant de concentrer le pouvoir entre les mains d’un seul homme. Une vision du pouvoir guère différente d’Emmanuel Macron, gouvernant à l’aide de son conseil de défense. Une perspective bien différente de celle de la 6e République proposée par l’Avenir en Commun.

Il était donc essentiel d’aller débattre pour démasquer l’imposture du discours prétendument anti-système d’Eric Zemmour.

Le programme qui allie social et écologie, qui veut offrir un nouvel horizon aux 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France et assurer un avenir à la jeunesse menacée par la crise climatique et la précarité, c’est l’Avenir en Commun.

Consultation populaire Fi : jeunesse et précarité

« Le masque que je porte là, ça fait une semaine. Même si j’ai une combine avec un copain d’Air France pour en récupérer, je les fais durer le plus possible parce que ça coûte trop cher. De toute façon je ne le porte pas pour ma santé, ça fait longtemps que je n’y fais plus attention, je le porte pour ne pas payer d’amende. Je ne peux pas me permettre ».

La vie de Sacha c’est ça, des combines dans tous les sens pour tenir malgré tout un budget intenable chaque mois. Tellement de combines et de détours auxquels il faut penser, qu’il faut anticiper ; il en est à son troisième burn-out à 27 ans.

J’ai rencontré Sacha la semaine dernière, dans le cadre de la consultation populaire que l’on organise pour enrichir et compléter le programme de la France insoumise.

Il est arrivé en s’excusant, me demandant d’anonymiser notre échange, presque honteux de la situation dans laquelle il se débat depuis presque 10 ans. Ses deux parents étaient violents et manipulateurs narcissiques – (« je sais pas si tu connais le terme ? Souvent, y en a un dans une famille, moi, pas de bol, c’était les deux »). A 18 ans, quand ça a été possible, il est parti pour ne plus revenir.

Mais tout le ramène en permanence à ce foyer financièrement à l’aise (ses deux parents sont fonctionnaires).

Tout le ramène à cette violence.

Le CROUS d’abord, et les aides auxquelles il ne peut pas prétendre car les revenus de ses parents sont inévitablement pris en compte pour les calculer, et parce qu’aucune case de leur logiciel n’est prévue pour ces cas de rupture familiale. Pas de bourses[1] pour faire ses études donc, pas de chambre en résidence non plus, pas d’exonération ou de réduction de ses frais universitaires, etc. Les années d’études de Sacha sont pleines de trous[2], de moments où il doit travailler à plein temps pour réussir à voir venir[3]. Il a une revendication : que les salaires et les allocations chômage soient versés le même jour, chaque mois, quel que soit l’organisme ou l’entreprise. Pendant son service civique, il a été payé à partir du troisième mois seulement, accumulant dettes, agios et angoisses.

Et des angoisses, il en a à revendre. « Parfois, j’accepte de sortir mais les gens ne mesurent pas, en le proposant, ce que ça suppose pour moi. Je me souviens de rendez-vous, passés à me demander si la personne en face allait proposer de régler nos cafés à la fin, incapable de me concentrer sur ce qu’on se racontait ».

Dans son quartier parisien, il a noué des liens affectifs et de solidarité qui compensent son isolement familial, dont on peine à mesurer la dureté quand on sait, d’évidence, où passer Noël, ou quel sera notre point de chute, pour stocker nos affaires, entre deux appartements étudiants. Sacha est reconnaissant de ses commerçants qui lui permettent de faire ses courses à crédit, de sa voisine qui lui fait quelques plats à réchauffer sans prévenir. Il est connu dans le coin, et s’improvise écrivain public, contre un billet, ou des clopes. Il me raconte en détail la fille de ses voisins serbe – « riches », qui travaillent dans le BTP, mais ne parlant pas français -, qui a pu aller dans un bon lycée grâce à une lettre rédigée de sa main.

Le quotidien est austère. Il estime qu’il mange « horriblement mal », des conserves, des plats à réchauffer au micro-onde, ou au fast-food, dehors. Il préfère mal manger qu’aller aux Restos du cœur, bénéficier d’une solidarité qu’il pense ne pas mériter quand il songe à ses copains de galère, bien plus en galère que lui. Il me raconte les paniers de légumes bio à destination des étudiants modestes dont il pouvait bénéficier à la fac. Et ajoute, rieur : « Mais tu vois, c’était pas facile, sur les plaques électriques de ma chambre de bonne de faire mijoter tout ça ». Pas exactement conçues pour préparer un pot-au-feu. Son chez-lui fait 9m2, sanitaires et cuisine compris – il peut payer sa chambre dans le parc privé, grâce aux APL[4]. Il a menti au propriétaire, bidouillé les papiers pour obtenir l’appartement, sans quoi il lui aurait été impossible d’y accéder.

Sacha m’a raconté l’humiliation de demander de l’aide, les vexations répétées, les complications infinies pour chaque chose. « En fin de mois, quand je prends cette ligne, je sors du métro à Avron, parce que la porte est souvent cassée, et que je connais l’équipe de Richard, le chef des agents RATP de cette station, donc ça se passera bien s’ils m’arrêtent ». Tout est complexe.

En 2015, un rapport de l’IGAS montrait qu’environ 20% des étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté.

Il est urgent de proposer un vrai plan aux jeunes, vers l’autonomie et l’indépendance.

Retrouvez nos propositions pour la jeunesse en suivant les Jeunes insoumis (sur Twitter et Facebook).  


[1] 730 000 étudiants bénéficient des bourses (sur critères sociaux, bourses aux mérites, aides ponctuelles), soit 39,3% des étudiants (sur un total de 2,7 millions selon l’Insee). Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html

[2] « Les résultats montrent que l’occupation d’un emploi régulier réduit significativement la probabilité de réussite à l’examen de fin d’année universitaire. S’ils ne travaillaient pas, les étudiants salariés auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année. » Magali Beffy, Denis Fougère et Arnaud Maurel, « L’impact du travail salarié des étudiants sur la réussite et la poursuite des études universitaires », INSEE, 2009.

[3] 46% des étudiants travaillent pendant leurs études, dans 19% des cas l’activité rémunérée est considérée comme concurrente du fait des horaires (minimum à mi-temps). Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html

[4] 800 000 jeunes bénéficient des APL. Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html

Où sont les masques, M. Macron ? – Histoire d’un mensonge d’État

C’est l’histoire d’un dévoilement, d’un mensonge officiel, d’un mensonge qui s’est lentement déchiré.

On a vu fleurir les témoignages sur les réseaux sociaux. Comme celui de Sabrina Ali Benali, médecin urgentiste à domicile.

Des médecins, des AVS, des infirmières, cette demande revenait : « donnez-nous des masques ».

ACTE 1 : CIRCULEZ, Y A RIEN À VOIR

Pourtant, le 26 janvier, il y a deux mois donc, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, se voulait très rassurante : nous avons déjà tout ce qu’il faut !

Elle expliquait, sereine : « Aujourd’hui, il n’y a aucune indication à acheter des masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées ». Bref, tout était prévu.

Puis, pendant que l’épidémie progressait en France, et face aux premiers témoignages de soignants, les questions se faisaient plus insistantes.

Un mois plus tard, le 23 février, son successeur, Olivier Véran expliquait que la France était en train de s’équiper, de procéder à l’achat de « dizaines de millions de masques ». Et le ministre promettait : « Nous allons faire le nécessaire pour que [les personnels de santé] puissent disposer de masques adaptés à chaque situation dans un marché qui est tendu sur le plan international. Et nous allons notamment travailler avec les entreprises productrices de masques FFP2, qui […] sont situées sur le sol français, et nous passons une commande ».

Les masques arrivaient, de façon imminente.

Quelques jours plus tard, le 27 février, Edouard Philippe confirmait les propos de son ministre de la santé à la sortie d’une réunion avec les chefs de partis et de groupes parlementaires sur le Covid-19 : « Nous avons commandé 200 millions de masques supplémentaires, qui viennent s’ajouter aux réserves déjà constituées et évidemment mobilisables ».

Et le Premier ministre en profitait pour distiller des conseils de civisme : « Aujourd’hui, la meilleure façon de se protéger ce n’est certainement pas de se précipiter en pharmacie pour acheter des masques. C’est même assez fortement déconseillé. Comme d’ailleurs pour les pénuries d’essence, c’est ce genre de comportements qui risque de créer une pénurie de masques, alors même que des populations pourront elles en avoir le besoins ».

Si chacun faisait preuve de calme, la pénurie était évitable.

ACTE 2 : L’AVEU

Le 28 février, l’OMS publiait un rapport stratégique sur la situation en Chine et montrait que le pays était en train de contenir l’épidémie. Ce rapport préconisait notamment que toute la population porte des masques et se lave les mains régulièrement. Grâce à ces mesures simples, associées à une politique massive de tests et d’isolement des cas positifs, le virus pouvait être contenu.

Mais notre gouvernement était occupé. Trop occupé pour lire les recommandations de l’OMS et évaluer nos stocks de masques. Car le 29 février, Edouard Philippe consacrait un conseil des ministres exceptionnel, initialement dédié à la gestion de la crise du Covid-19, à l’utilisation du 49.3 pour faire adopter sans délai la réforme des retraites contre laquelle les français se battaient depuis des mois.

Le 3 mars, interpellé lors des questions au gouvernement sur nos stocks de masques, Olivier Véran avouait : « Suite à l’épisode de la grippe H1N1, une grande concertation a été organisée de manière à déterminer les stocks dont la France avait besoin pour se prémunir de la survenue de nouveaux épisodes viraux […] En 2011 il a été déterminé que la France n’avait pas à faire de stock d’État des fameux masques FFP2 [un masque filtrant qui protège davantage que les masques chirurgicaux]. Il n’y a donc pas de stock d’État. » 

Il s’avérait donc finalement que tout n’était pas prévu.

Le traumatisme relatif à la gestion de l’épidémie H1N1 en 2009 avait fait le vide dans les stocks. Pour la grippe A, la France avait commandé 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de FFP2, pour une épidémie finalement bénigne.

Pour tirer les leçons de cet immense gaspillage, un rapport du Sénat de 2015, préconisait ainsi à chaque établissement de santé de constituer ses propres stocks en masques FFP2. Chaque hôpital étant lui-même soumis à une logique austéritaire… les stocks ont été insuffisamment pourvus.

ACTE 3 : LA REPRISE EN MAIN

La pénurie était là, finalement.

Le 3 mars, le Premier ministre ordonnait donc la réquisition par décret de l’ensemble des stocks et productions de masques sur le territoire national.

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Le 3 mars, toujours, Véran dégainait des mesures tous azimuts : « J’ai déstocké deux fois 15 millions de masques, par camion dans toutes les officines de France […], nous sommes le seul pays à avoir fait une réquisition. […] Nous sommes en train d’acheminer massivement des masques partout où nous le pouvons et il y a une gestion de ces masques qui doit se faire dans la durée ».

Les camions roulaient. Les masques arrivaient. La situation était sous contrôle.

Le 7 mars, le président et son épouse allaient au théâtre.

Mais il y avait visiblement des bouchons sur les routes. Les soignants s’impatientaient, se plaignaient toujours. Pas de masques.

Le 13 mars, le ministre de la santé, Olivier Véran assurait sur Europe 1 : « J’ai informé hier [jeudi] soir tous les leaders syndicaux des médecins libéraux ainsi que le président du Conseil national de l’Ordre des médecins qu’ils auraient des masques FFP2 qui leur seront donnés. C’est immédiat, la logistique part d’abord en direction des sites où la circulation du virus est la plus active et (où) nous commençons à faire appel à la médecine de ville en premier rideau ».

Et les soignants ne voyaient toujours rien venir.

ACTE 4 : LE SENS DU DEVOIR

Le 15 mars, Sabrina et beaucoup d’autres, allaient soigner la peur au ventre. Peur pour soi bien sûr, pour ses proches, évidemment, mais peur de contaminer ses patients, surtout, en étant si souvent au contact du virus et si mal protégés. La distorsion terrible de la mission des soignants, faute du matériel leur permettant de l’assurer normalement.

Le lendemain, le 16 mars, le Président leur rendait un hommage émouvant, à ces soignants envoyés au front sans protection.

Emmanuel Macron déclarait alors : « Nous sommes en guerre. La Nation soutiendra ses enfants qui, personnels soignants en ville, à l’hôpital, se trouvent en première ligne dans un combat qui va leur demander énergie, détermination, solidarité. Ils ont des droits sur nous. Nous leur devons évidemment les moyens, la protection. Nous serons là. Nous leur devons des masques, du gel, tout le matériel nécessaire et nous y veillons et veillerons. Nous avons décidé avec les scientifiques de réserver les masques en priorité pour l’hôpital et pour la médecine de ville et de campagne, en particulier les généralistes, les infirmières désormais en première ligne aussi dans la gestion de la crise ».

Il promettait, lui aussi, des camions, des solutions : « Des masques seront livrés dans les pharmacies dès demain soir dans les 25 départements les plus touchés. Mercredi pour le reste du territoire national. J’ai aussi entendu le message des spécialistes, en particulier des chirurgiens-dentistes et beaucoup d’autres. Des solutions seront trouvées avec le Ministre de la Santé dans les prochaines heures ».

Le 16 mars toujours, Olivier Véran communiquait sur la stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques « dans les zones où le virus circule activement » en les destinant prioritairement aux professionnels de santé.

On y était. La gestion de la pénurie.

Le choix de celles et ceux qui seraient protégés pour exercer leur métier, sans qu’il soit possible de les protéger tous.

Et les AVS, les caissières, les boulangères, les sages-femmes étaient envoyées au turbin sans masques.

Le 17 mars, à la sortie du Conseil des ministres, Sibeth Ndiaye justifiait cette politique de rationnement par l’évidence : « cette première ligne de soignants, si elle est elle-même trop infectée par le coronavirus, nous allons au-devant de graves difficultés ».

Mais le 18 mars, Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’hôpital Georges Pompidou à Paris, rendait compte de la réalité entêtée : « Ce qu’il faut résoudre, absolument résoudre, c’est la question des masques. […] Mais je regarde toute la médecine de ville, tous nos collègues médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, toutes ces personnes qui vont à domicile aider les personnes âgées à faire leur toilette, à manger… Ils n’ont pas de masques ! » 

ENTRACTE : LA MASCARADE

Pour gérer la communication de crise relative à la pénurie, le président envoyait ses meilleures VRP à la télé.

S’ensuivaient de navrantes scènes d’acrobaties rhétoriques :

Le 19 mars, Agnès Pannier-Runacher, sur BFMTV : « La distance d’un mètre, c’est la meilleure garantie de ne pas être contaminé. […] Les masques, on s’est aperçu que c’était un vecteur de contamination pour des gens qui ne savaient pas bien les utiliser. […] Ils tripotent le masque toute la journée et avec leurs mains, ils se mettent en situation d’être exposés au virus. »

Le lendemain, le 20 mars, Sibeth Ndiaye, chez Bourdin : « Les masques ne sont pas nécessaires pour tout le monde. Et vous savez quoi ? Moi, je ne sais pas utiliser un masque. L’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis, sinon on se gratte le nez sous le masque et en fait on a du virus sur les mains, on a une utilisation qui n’est pas bonne et ça peut être même contre-productif. »

Toujours le 20 mars, sur BFMTV à nouveau, Agnès Pannier-Runacher se relançait finalement dans le road-movie des masques pas totalement dispensables : « 15 millions de masques sont sur les routes, beaucoup de pharmacie ont été livrées, pas toutes ».

ACTE 5 : LA TRANSPARENCE

Un mois après les supposées commandes annoncées par le ministre de la santé, le 21 mars, le gouvernement décidait enfin de rassembler les industriels pour augmenter la production française de masques.

Les masques presque livrés, n’étaient finalement pas encore produits.

Ces mêmes entreprises, du fait de l’absence de décisions des autorités françaises étaient occupées depuis un mois à fabriquer des masques pour d’autres pays. C’est le cas de l’entreprise Valmy qui avait reçu une commande du NHS (National Health Service) britannique avant celle de la France.

Le 24 mars, pendant les QAG, Olivier Véran reconnaissait le problème mais pas la responsabilité.

C’est la faute de la mondialisation : « Il ne faut pas se mentir : quand toute la production mondiale, ou presque, est localisée dans une région de Chine et qu’il se trouve que c’est cette région qui subit de plein fouet une épidémie, avant même que celle-ci n’arrive en Europe, il ne faut pas s’étonner que les usines de production tombent en rade. J’ai émis des bons de commandes pour des centaines de millions de masques en provenance de Chine avant même que les usines chinoises n’aient rouvert ».

C’est la faute du gouvernement précédent : « Nous n’avons pas choisi les difficultés matérielles que nous rencontrons : nous les subissons, qu’il s’agisse des masques ou, comme c’est parfois le cas, des réactifs […] tout ce matériel du quotidien dont nous ne disposions pas en quantité suffisante quand l’épidémie a commencé. Avant même qu’elle commence, nous avons anticipé en passant des commandes partout où c’était possible ».

Et se lançait, la main sur le cœur, dans une grande opération de transparence : « je me suis exprimé en toute transparence, depuis le premier jour, à propos des masques et du matériel de protection. J’ai donné les chiffres des stocks de l’État disponibles : aucun stock de masques FFP2 et quelque 86 millions de masques chirurgicaux. J’ai annoncé que nous avions distribué 70 millions de masques depuis la fin du mois de février et que j’avais décidé du déstockage de 20 millions de masques, partis cette semaine à destination des hôpitaux et des EHPAD, en privilégiant toujours les territoires dans lesquels la circulation virale est la plus active. J’ai également annoncé un déstockage dans les prochains jours à destination de la médecine de ville. Je n’ai pas caché les difficultés que nous affrontions en matière de stocks d’État puisque, hélas, nous devons faire avec depuis plusieurs semaines ».

Beaucoup d’annonces, peu de résultats.

Le 25 mars, le président Macron, à Mulhouse, félicitait son brave ministre « Vous avez un Gouvernement qui est à la tâche, œuvrant pour trouver les solutions et se battant. Le ministre de la Santé reviendra dans les prochains jours, comme il l’a déjà fait et comme il le fait constamment sur les sujets les plus sensibles, en toute transparence. Le sujet des masques, des respirateurs, des tests et des traitements pour apporter toutes les explications, toutes les demandes d’informations légitimes, mais sans que nous ne cédions à aucune forme de division sans que jamais nous ne céderons au flot de fausses informations. Nous n’avons qu’une priorité : battre le virus. »

Beaucoup d’explications, peu de résultats.

ACTE 6 : LES SOLUTIONS

Mais enfin, le 28 mars, le ministre de la santé expliquait, triomphal : « Plus d’un milliard de masques ont été commandés depuis la France et l’étranger pour les semaines et mois à venir. […] Un pont aérien étroit et intensif entre la France et la Chine a été mis en place de manière à faciliter les entrées des masques sur notre territoire ».

Cette dernière annonce vient parachever la sinistre comédie des masques qui dure, et qui tue, depuis 2 mois.

Mais pourquoi avoir tant tardé ? 

Ils connaissaient les stocks dont nous avions besoin.

Santé publique France, institution gouvernementale chargée de la gestion des crises, préconisait, dans un rapport, en mai 2019 : « En cas de pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30% de la population », soit 1 milliard de masques.

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Aujourd’hui, la confiance est brisée.

Le 29 mars, 92 professionnels de santé représentant le collectif C19 ont adressé, via un cabinet d’avocats, une sommation interpellative au ministère des Solidarités et de la Santé pour recevoir « les contrats » et « commandes » de masques, quel que soit leur type, qui ont été conclus par l’État depuis le 20 décembre 2019.

Le 30 mars, Sabrina rentrait d’une nouvelle nuit de garde.