« Le masque que je porte là, ça fait une semaine. Même si j’ai une combine avec un copain d’Air France pour en récupérer, je les fais durer le plus possible parce que ça coûte trop cher. De toute façon je ne le porte pas pour ma santé, ça fait longtemps que je n’y fais plus attention, je le porte pour ne pas payer d’amende. Je ne peux pas me permettre ».
La vie de Sacha c’est ça, des combines dans tous les sens pour tenir malgré tout un budget intenable chaque mois. Tellement de combines et de détours auxquels il faut penser, qu’il faut anticiper ; il en est à son troisième burn-out à 27 ans.
J’ai rencontré Sacha la semaine dernière, dans le cadre de la consultation populaire que l’on organise pour enrichir et compléter le programme de la France insoumise.
Il est arrivé en s’excusant, me demandant d’anonymiser notre échange, presque honteux de la situation dans laquelle il se débat depuis presque 10 ans. Ses deux parents étaient violents et manipulateurs narcissiques – (« je sais pas si tu connais le terme ? Souvent, y en a un dans une famille, moi, pas de bol, c’était les deux »). A 18 ans, quand ça a été possible, il est parti pour ne plus revenir.
Mais tout le ramène en permanence à ce foyer financièrement à l’aise (ses deux parents sont fonctionnaires).
Tout le ramène à cette violence.
Le CROUS d’abord, et les aides auxquelles il ne peut pas prétendre car les revenus de ses parents sont inévitablement pris en compte pour les calculer, et parce qu’aucune case de leur logiciel n’est prévue pour ces cas de rupture familiale. Pas de bourses[1] pour faire ses études donc, pas de chambre en résidence non plus, pas d’exonération ou de réduction de ses frais universitaires, etc. Les années d’études de Sacha sont pleines de trous[2], de moments où il doit travailler à plein temps pour réussir à voir venir[3]. Il a une revendication : que les salaires et les allocations chômage soient versés le même jour, chaque mois, quel que soit l’organisme ou l’entreprise. Pendant son service civique, il a été payé à partir du troisième mois seulement, accumulant dettes, agios et angoisses.

Et des angoisses, il en a à revendre. « Parfois, j’accepte de sortir mais les gens ne mesurent pas, en le proposant, ce que ça suppose pour moi. Je me souviens de rendez-vous, passés à me demander si la personne en face allait proposer de régler nos cafés à la fin, incapable de me concentrer sur ce qu’on se racontait ».
Dans son quartier parisien, il a noué des liens affectifs et de solidarité qui compensent son isolement familial, dont on peine à mesurer la dureté quand on sait, d’évidence, où passer Noël, ou quel sera notre point de chute, pour stocker nos affaires, entre deux appartements étudiants. Sacha est reconnaissant de ses commerçants qui lui permettent de faire ses courses à crédit, de sa voisine qui lui fait quelques plats à réchauffer sans prévenir. Il est connu dans le coin, et s’improvise écrivain public, contre un billet, ou des clopes. Il me raconte en détail la fille de ses voisins serbe – « riches », qui travaillent dans le BTP, mais ne parlant pas français -, qui a pu aller dans un bon lycée grâce à une lettre rédigée de sa main.
Le quotidien est austère. Il estime qu’il mange « horriblement mal », des conserves, des plats à réchauffer au micro-onde, ou au fast-food, dehors. Il préfère mal manger qu’aller aux Restos du cœur, bénéficier d’une solidarité qu’il pense ne pas mériter quand il songe à ses copains de galère, bien plus en galère que lui. Il me raconte les paniers de légumes bio à destination des étudiants modestes dont il pouvait bénéficier à la fac. Et ajoute, rieur : « Mais tu vois, c’était pas facile, sur les plaques électriques de ma chambre de bonne de faire mijoter tout ça ». Pas exactement conçues pour préparer un pot-au-feu. Son chez-lui fait 9m2, sanitaires et cuisine compris – il peut payer sa chambre dans le parc privé, grâce aux APL[4]. Il a menti au propriétaire, bidouillé les papiers pour obtenir l’appartement, sans quoi il lui aurait été impossible d’y accéder.
Sacha m’a raconté l’humiliation de demander de l’aide, les vexations répétées, les complications infinies pour chaque chose. « En fin de mois, quand je prends cette ligne, je sors du métro à Avron, parce que la porte est souvent cassée, et que je connais l’équipe de Richard, le chef des agents RATP de cette station, donc ça se passera bien s’ils m’arrêtent ». Tout est complexe.
En 2015, un rapport de l’IGAS montrait qu’environ 20% des étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté.

Il est urgent de proposer un vrai plan aux jeunes, vers l’autonomie et l’indépendance.
Retrouvez nos propositions pour la jeunesse en suivant les Jeunes insoumis (sur Twitter et Facebook).
[1] 730 000 étudiants bénéficient des bourses (sur critères sociaux, bourses aux mérites, aides ponctuelles), soit 39,3% des étudiants (sur un total de 2,7 millions selon l’Insee). Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html
[2] « Les résultats montrent que l’occupation d’un emploi régulier réduit significativement la probabilité de réussite à l’examen de fin d’année universitaire. S’ils ne travaillaient pas, les étudiants salariés auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année. » Magali Beffy, Denis Fougère et Arnaud Maurel, « L’impact du travail salarié des étudiants sur la réussite et la poursuite des études universitaires », INSEE, 2009.
[3] 46% des étudiants travaillent pendant leurs études, dans 19% des cas l’activité rémunérée est considérée comme concurrente du fait des horaires (minimum à mi-temps). Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html
[4] 800 000 jeunes bénéficient des APL. Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html
Bonjour camarade, j’ai créé (avec d’autres) une politique d’accompagnement de la jeunesse qui a été reprise dans plusieurs villes et territoires en France, mais trop souvent déviée de la démarche d’émancipation originale ou minimisée par manque de portage politique ou/et financier. (l´État en a copié un bout pour faire la garantie jeune). L’autonomie de la jeunesse ne passe pas que par l’argent, même si c’est important et complémentaire avec cette démarche d’accompagnement. A disposition pour partager avec votre groupe de travail du programme ! C’est en lien avec l’économie sociale et solidaire, la culture de coopération et de paix, Et ça répond aux soucis des missions locales services jeunesse et pôle emploi et l’éducation nationale entre autres services au public jeune. Malgré les difficultés, le taux de réussite de cette politique publique a été de 56%, ce qui est remarquable pour une politique jeunesse. A améliorer collectivement exemple : https://www.experimentation-fej.injep.fr/IMG/pdf/Rapport_Final_EXPE_AP3_153.pdf
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